LNDMRK fête ses 8 ans : entrevues avec 5 artistes inspirantes se cachant derrière nos plus grandes œuvres
Vous déplaçant tranquillement sur le boulevard Saint-Laurent, vous apercevez tout à coup d’immenses murales aux couleurs enchanteresses. Vous êtes-vous déjà demandé d’où elles venaient? Derrière ces œuvres qui remodèlent le paysage urbain se cache l’agence créative montréalaise LNDMRK. Celle-ci est l’instigatrice de nombreux projets d’art urbain à Montréal, tout comme à l’international, dont le fameux festival MURAL, qui anime religieusement nos étés. Cet automne, LNDMRK fêtait ses 8 ans! Pour l’occasion, elle présente un programme excitant mettant en valeur de nouveaux artistes aux talents multiples. Je vous invite donc à découvrir, parmi eux, 5 artistes inspirantes œuvrant en art urbain/contemporain avec lesquelles j’ai eu la chance de m’entretenir.
Ola Volo
Ola Volo est une muraliste et illustratrice canadienne originaire du Kazakhstan. Ses œuvres, aux mille et un détails et symboles, nous emportent dans un univers riche et enivrant.
Son parcours
Immigrée, alors qu’elle est enfant à Vancouver, ses parents encouragent son développement en art. Elle affirme qu’elle a toujours été une artiste. Ola sent la barrière du langage et utilise l’art comme « coping mechanism« . Formée en Europe, elle commence à s’ouvrir à différents médiums et formes d’art. Des études en design et en illustration lui permettent de communiquer une idée clairement à travers le visuel.
Puis, il y a environ 7-8 ans, Ola commence le muralisme. Cette forme d’art lui apporte à la fois de nouveaux défis et de nouvelles opportunités. Elle est emballée par l’idée d’offrir de l’art public gratuit à n’importe quel passant, mais aussi effrayée par la responsabilité que cela implique. L’œuvre est immense, elle change l’espace et elle demande une prise de risque assez importante. Par exemple, dans le Mile-End, à Aire Commune, Ola a réalisé la murale Walla Volo, produite et financée par le Collectif artistique Le Cartel, qui est considérée comme la deuxième plus grande réalisée par une femme au Canada.
Faire de la murale, ça nous oblige à grandir en tant que personne pour pouvoir accomplir le travail jusqu’au bout.
Ola Volo
Une intention artistique proche des gens
Ola Volo le dit sans équivoque, elle pense énormément aux gens qui habitent l’espace qu’une murale occupera. Elle aime s’imprégner de l’ambiance d’un quartier, parler avec les gens qui y vivent et écouter leurs histoires. Elle traduit le tout par un visuel complexe et symbolique qui nous immerge dans des récits qui reflètent la nature humaine et son quotidien.
Source : site Web Ola Volo
La « drive » que j’ai n’est pas seulement à propos de l’art. C’est à propos des gens, du voyage, à propos d’être entendue et d’entendre leurs histoires pour les intégrer dans mes murales.
Ola Volo
Par exemple, la murale Walla Volo au Mile-End intègre divers éléments du quartier, tels que le chemin de fer et les cages d’oiseaux vides d’un fameux commerce. Plus récemment, Ola a créé une murale à Hochelaga-Maisonneuve, où la communauté s’est donné l’objectif de verdir le quartier. Son œuvre se veut donc annonciatrice du retour de Mère Nature et illumine ainsi le quotidien des habitants.
Son style riche et élaboré emprunte des éléments au folklore, au multiculturalisme et à la thématique de l’identité. Mélangeant la géométrie aux formes organiques, les humains aux animaux et l’architecture à la nature, son travail commence avec un petit stylo et d’innombrables motifs très détaillés. Elle essaie donc de répliquer les lignes naturelles de la main levée, même quand le format est 100x plus grand.
Si je fais une petite erreur [dans la murale], cela lui donnera tout de même du caractère. J’essaie de faire en sorte que l’œuvre paraisse d’origine humaine.
Ola Volo
Laurence Vallières
Laurence Vallières est une artiste sculptrice reconnue internationalement. On remarque d’abord son style par des figures animales imposantes, d’un réalisme frappant, faites à partir de carton. En effet, ce matériel commun de la vie de tous les jours lui permet pourtant de créer des œuvres magistrales et de se faire connaître dans le monde entier!
Ses débuts avec le carton
À l’origine, Laurence a fait des études en céramique et elle manipulait alors surtout l’argile. Cependant, le jour où elle a voulu participer à la Nuit blanche à Montréal, elle s’est vue obligée de chercher des matériaux alternatifs pour répondre aux dimensions plus imposantes que devait avoir l’œuvre. Après qu’une amie lui ait suggéré d’essayer le carton, Laurence a créé une sculpture de 9 pieds de hauteur avec ce matériau, tout en maintenant des finitions qui rappellent celles de l’argile. C’était le début d’une longue aventure avec le carton!
J’ai essayé de faire paraître le carton comme de l’argile. J’ai reproduit quelque chose de très organique.
Laurence Vallières
Une attirance naturelle pour les animaux
L’une des plus grande source d’inspiration pour Laurence est le monde animal. La forme, la posture, les expressions des animaux… elle y voit quelque chose d’intriguant qui mérite d’être mis à l’avant-plan. Ce qui fascine le plus cette artiste est l’intensité que ces bêtes peuvent procurer aux émotions.
Les émotions sont amplifiées par l’animal parce qu’on fait toujours de la projection sur eux de toute façon. Je trouve que lorsque je fais un gros singe qui a l’air calme, il semble plus calme qu’un humain dans une pareille situation. De la même façon, si je fais un singe en colère, c’est de la violence à l’état pur.
Laurence Vallières
Exposée aux quatre coins du globe
Le travail de Laurence est exposé dans toutes sortes d’endroits : des galeries d’art aux magasins, en passant par des festivals célèbres comme Burning Man, dans le désert du Nevada.
Dalkhafine
Originaire de France, Delphine Dussoubs (alias Dalkhafine) est une artiste multidisciplinaire qui utilise plusieurs supports tels que la peinture, la sérigraphie, les murales, les vêtements, le VJing, l’illustration et le motion design pour créer. Son style est reconnaissable à ses couleurs éclatantes et aux contours épais et visibles délimitant des formes inspirées de la nature.
L’animation lui ouvre des portes
Alors que l’art fait partie de sa vie depuis son tout jeune âge, Dalkhafine a étudié en animation 2D et 3D, ce qui lui a donné l’opportunité de se créer un univers visuel bien à elle et de réussir à le mettre en mouvement. Malgré le fait que ces études la destinait à un certain métier et milieu précis, elle se dit contente d’avoir pu en sortir pour expérimenter avec les techniques apprises sur d’autres supports et médiums. Par exemple, elle a commencé à faire du VJing, où ses aptitudes en animation lui ont beaucoup servi, ainsi que de l’événementiel, où on lui a aussi demandé d’y faire recours. Toutefois, elle mentionne que c’est sa collaboration pour le spectacle de Pharrell Williams, à Coachella en 2014, qui a été déterminant pour sa carrière. Depuis ce moment, elle grandit en tant qu’artiste et touche à de multiples supports.
La musique : source d’inspiration
Le lien de Dalkhafine avec la musique a toujours été particulièrement fort. D’un côté, elle ne peut créer sans musique, car celle-ci lui offre la concentration dont elle a besoin et d’autre part, elle est parfois à l’origine même de sa création.
À chaque fois que je travaille avec de la musique, je me concentre pour voir ce que j’écoute. C’est comme si je traduisais les sons en images.
Dalkhafine
Elle a donc fait des « lyrics vidéos« , où elle illustrait les paroles de Jain et a signé l’univers visuel de multiples spectacles, incluant ceux de Major Lazer et Bigflo & Oli. Une de ses convictions est que l’univers visuel et l’univers musical peuvent très bien s’entendre. Cette année, dans le cadre du Festival MURAL, elle a fait la murale complète qui recouvre le Mixbus! Ce dernier est en fait un autobus récupéré par un couple de Québécois qui a été converti en studio intérieur et scène extérieure (sur le toit). Cette scène sur roues a d’ailleurs fait la tournée du Québec cet été.
Ce sont des visuels qui vont traverser les villes et traverser le Québec, à la portée de tout le monde. C’est super de savoir qu’on travaille pour quelque chose qui est amené à promouvoir la musique. Ce sont des valeurs que j’aime bien et je trouve ça chouette de combiner les deux.
Dalkhafine
La pandémie : un inhibiteur de créativité
Pour une personne extravertie, telle que Dalkhafine, la pandémie a été un choc brutal qui lui a enlevé maintes sources d’inspiration. Travaillant surtout en événementiel, les annulations l’ont frappée de plein fouet. Malgré la difficulté pour trouver l’inspiration, Dalkhafine a finalement réussi à retrouver une partie de créativité et lance maintenant sa première exposition solo en Amérique du Nord à Station 16.
Cyrielle Tremblay
Cyrielle Tremblay est une artiste du Québec qui nous transporte dans un univers poétique et onirique avec des œuvres envoûtantes. Se considérant d’abord comme artiste peintre, elle fait aussi de la photo, de la sérigraphie et a commencé à jouer avec l’art textile. Elle a une pratique muraliste assez importante et on peut donc tomber nez à nez avec une de ses œuvres au tournant d’un coin de rue à Montréal ou à Québec.
Son parcours
Cyrielle a fait des études en arts plastiques et en design graphique. De ces dernières, elle retient un intérêt marqué pour la composition et l’organisation des éléments sur différents plans. C’est au cours d’un échange étudiant au Mexique qu’elle est vraiment été introduite à la murale : là-bas, cet art fait partie de la culture. Beaucoup de grands artistes du pays sont muralistes et les gens y sont habitués. Il est plus facile d’avoir accès à des murs. Elle commence donc à peindre sur ces derniers tout en continuant de faire de la murale au Québec et en Colombie.
Le feed-back instantané
Même si Cyrielle affirme aimer travailler en atelier (un processus plus lent qui lui permet de travailler en précision), elle apprécie les défis que constitue le travail dans la rue.
Ce qui est le fun avec la murale, c’est d’avoir un contact avec les gens qui passent, d’avoir un feed-back constant des gens autour de toi : le monde qui n’aime pas ça te le dit en plein visage, mais le monde qui aime te le dit aussi!
Cyrielle Tremblay
Cyrielle vient d’ailleurs tout juste de dévoiler une œuvre monumentale sur la rue Chabanel, à Montréal, dans laquelle elle rend hommage à cet ancien quartier industriel de la mode. Rendez-vous au 99 Chabanel pour l’admirer!
Des compositions improbables
Ce qui frappe avec les œuvres de Cyrielle? Des compositions improbables, originales et envoûtantes, où l’absurdité se mélange à merveille à la poésie. Elle affirme aimer jouer avec les échelles et les éléments, en ajoutant parfois des clins d’œil loufoques (tels une canette de Pabst ou un sac IGA) à des éléments plus poétiques ou oniriques.
Mon but est de créer des atmosphères où les gens qui regardent l’œuvre se créent leur propre interprétation.
Cyrielle Tremblay
Une marque du présent
Cyrielle s’inspire des objets quotidiens qui l’entourent et qui représentent, en quelque sorte, une marque de l’époque dans laquelle on vit. Sans en faire un message politique, elle prétend plutôt faire de ses œuvres des symboles du moment présent. Elle prend ainsi des objets banals pour changer le regard avec lequel on les observe.
J’aime l’idée de prendre des objets de tous les jours, qui ne sont pas faits pour être admirés, et de les placer dans un contexte où ils deviennent quelque chose que l’on observe pour une valeur poétique ou esthétique.
Cyrielle Tremblay
June Barry
June Barry ou BOYCOTT, est une artiste visuelle dont les œuvres se concentrent aujourd’hui autour de l’utilisation expérimentale de la lumière. Il y a de cela 6 ans, animée par le désir de modifier l’expérience des spectateurs, elle commence à faire des installations à l’intérieur du collectif musical Moonshine. Cette expérience est très formatrice puisqu’elle est l’unique personne en charge de l’art visuel.
L’influence de la lumière
June affirme avoir été passionnée et influencée par la lumière depuis son enfance. Elle a commencé avec une pratique de la vidéo qu’elle a ensuite délaissé au profit d’un art plus manuel. Toutefois, elle voit toujours les liens avec sa pratique actuelle : son intérêt pour le cinéma et les jeux de lumière est maintenant reflété dans son expérimentation avec les miroirs, la vitre et les réflexions.
C’est une lumière qui vient vers toi, une modification du réel.
June Barry
Le self-reflection
D’autre part, June affirme que sa pratique a un aspect très conceptuel. S’inspirant des lieux où elle se trouve et des gens qu’elle rencontre, une majeure partie de son travail repose quand même sur le « self-reflection » et l’introspection. Ayant un passé difficile, le verre lui permet un travail intéressant.
Je prends un objet brisé et j’essaie de le reconstruire en quelque chose de plus beau. C’est une peu une réflexion de ce que j’essaie de faire de moi-même.
June Barry
Sources : Instagram BOYCOTT_This
LNDMRK : encore beaucoup de surprises!
Cette année, en raison de la pandémie, LNDMRK a dû repenser certains de ses événements rassembleurs. Par exemple, l’agence a créé MURAL Estival, festival hybride d’événements physiques et numériques où les artistes participaient à des spectacles musicaux diffusés sur Internet et où les murales servaient à rendre hommage à certains travailleurs de la pandémie. Elle a aussi lancé une application qui permet de visualiser les œuvres en réalité augmentée. En s’adaptant et en recrutant de nouveaux artistes talentueux, LNDMRK s’assure un avenir à succès et nous réserve certainement bien d’autres surprises!
À LIRE AUSSI : Pascal Labelle : un designer montréalais qui sort des sentiers battus